JWST | Mieux cerner la diversité des mondes inhabitables
Entretien avec Emmanuelle Javaux, biologiste, docteure en géologie, professeur ordinaire et directrice du laboratoire Early Life Traces & Evolution-Astrobiology, et de l’Unité de Recherche Astrobiology de l’Université de Liège.
Le télescope spatial James Webb va permettre l’étude des planètes et autres corps de notre système solaire afin de comprendre leur origine et évolution, mais il va aussi s’intéresser aux exoplanètes, des planètes qui orbitent autour d’autres étoiles que notre soleil. Parmi ces cibles, le télescope pourra focaliser ses observations sur des exoplanètes rocheuses, présentes dans la zone habitable du système, c’est-à-dire pas trop près ni trop loin de leur étoile pour que la présence d’eau liquide soit possible à la surface. Cependant, être à une bonne distance ne suffit pas pour que la vie puisse s’y développer, il faut également savoir si ces planètes ont une atmosphère, si elles ont de l’eau liquide en surface, etc. On ne connait pas la diversité des atmosphères qui peuvent se former, mais le JWST va nous aider à avancer dans ce domaine.
Une fois les exoplanètes détectées, le JWST va permettre l’analyse de l’atmosphère de ces exoplanètes grâce à une technique de spectroscopie à transmission qui va examiner la lumière de l’étoile filtrée à travers l’atmosphère des planètes, ce qui nous donnera des informations sur leur composition chimique.
Le JWST va permettre cette exploration de la diversité d’exoplanètes et de la diversité de leurs atmosphères, une recherche qui prendra des années et qui est essentielle pour établir une connaissance de base approfondie sur ces atmosphères et exoplanètes. Un contexte dans lequel on pourra ensuite rechercher des anomalies qui pourraient être expliquées par un processus biologique plutôt que chimique ou physique. Cette aventure est donc multidisciplinaire, mais la biologie doit être patiente avant que l’on puisse parler de probabilité de présence de vie plus ou moins grande sur certaines exoplanètes. Il y a encore beaucoup d’inconnues en astrophysique, en géologie planétaire, comme en biologie mais ces défis sont passionnants et le JWST est un formidable outil pour faire avancer les connaissances !
Nous sommes présents dans l'analyse des données du JWST via notre projet PORTAL (PhOtotRophie sur des planèTes rocheuses hAbitabLes) qui s’intéresse à l’habitabilité des planètes rocheuses tempérées en orbite autour d’étoiles de très petite masse et à la possibilité de vie sur de telles planètes. Les objectifs de ce projet sont de déterminer les caractéristiques des conditions physiques et d’irradiation à la surface des planètes situées dans la zone habitable de TRAPPIST-1 à partir de données observationnelles et de modélisation théorique. Et, dans ces conditions, nous allons investiguer la possibilité de phototrophie (organismes vivants qui tirent leur énergie à partir de la lumière, par photosynthèse ou grâce à des protéines, en utilisant des pigments) dans l’infra-rouge, et la détectabilité de ses signatures dans différents types d’échantillons : de la Terre précambrienne et d’environnements extrêmes modernes, dans des conditions exoplanétaires simulées dans un nouveau « biodôme TRAPPIST », et sur des planètes en orbite autour de TRAPPIST-1. Notre projet PORTAL va donc contribuer à la compréhension de la phototrophie sur la Terre et à son évolution, et à la possibilité de phototrophie sur des exoplanètes rocheuses habitables orbitant autour d’un autre type d’étoile (naine rouge ultra-froide) que le Soleil mais très commun dans l’univers. Un projet qui nécessite des expertises multidisciplinaires en astrophysique, géophysique, biologie (microbiologie, paléobiologie, géobiologie, photosynthèse), physique et chimie de l’atmosphère et modélisation, c’est pourquoi il rassemble de nombreux chercheurs issus d’instituts de recherches belges, mais aussi de l’Université de Berlin, l’Université de Paris, et de l’Observatoire de Bordeaux.
L’astrobiologie est l’étude de l’origine, de l’évolution, de la distribution, et le futur de la vie dans l’Univers en commençant par la Terre, la seule planète biologique connue à ce jour. Comment la vie est-elle apparue ? Comment évolue-t-elle ? Quelles sont ses limites ? Quelle est sa fréquence dans l’Univers ? Quelles traces de vie ou possibles biosignatures rechercher pour reconstruire son histoire sur la Terre, ou la détecter ailleurs dans le système solaire ou au-delà ? Avec quels outils ? Quelles missions spatiales ? Dans quelles conditions est-elle possible ailleurs ? La question des origines est centrale en astrobiologie : origine des (exo)planètes rocheuses, origines de la vie, des innovations biologiques, de la vie complexe (unicellulaire et multicellulaire), des métabolismes comme par exemple la photosynthèse... L’astrobiologie est, par essence, multidisciplinaire, allant de l'astrophysique à la biologie, en passant par la géologie, la chimie, les sciences planétaires, les sciences de l’ingénieur, l’histoire des sciences et la philosophie, pour tenter de répondre à ces questions fondamentales qui interpellent tout un chacun.
Une trace de vie peut être morphologique (fossile organique ou minéral, roches construites ou modifiées par la vie comme un stromatolite, un tapis microbien dans le sédiment...), chimique (molécules complexes comme certains lipides ou pigments; fractionnement isotopique d’éléments utilisés par la vie - C, N, S, Fe, …-, un pattern non-aléatoire dans des molécules organiques comme la chiralité des acides aminés ou la présence exclusive de nombre pair ou impair de carbone...), ou spectroscopique (co-occurrence de certains gaz atmosphériques). Cependant, pour toutes ces traces potentielles, il existe des processus naturels abiotiques qui peuvent produire les mêmes structures, molécules ou gaz. Il est donc crucial de comprendre le contexte et la diversité naturelle des phénomènes en absence de vie, avant de pouvoir conclure à une probabilité plus ou moins grande que les observations sont d’origine biologique.
La recherche de traces de vie sur d’autres planètes est très différente selon que l’on cible le système solaire, avec la possibilité d’étudier et de procéder à des échantillonnages sur place ou sur des échantillons ramenés sur Terre, ou selon que l’on cible des systèmes exoplanétaires où on ne pourra jamais se poser. Dans les deux cas, il s’agit d’abord de déterminer si les planètes sont ou ont été habitables. Ensuite, la recherche de traces de vie sur des exoplanètes se focalise sur la détection et la composition de l’atmosphère.
Les évolutions technologiques futures nous permettront peut-être d’analyser la surface des planètes, qui pourrait suggérer la probabilité de présence de vie , par exemple via l’absorption ou la réflexion de la lumière (fluorescence) par des pigments comme on le fait par satellite au-dessus des océans terrestres pour cartographier, identifier et quantifier le phytoplancton (microorganismes phototrophiques importants, producteurs primaires à la base des chaînes trophiques et jouant un rôle prépondérant dans le cycle du carbone et l’oxygénation de l’atmosphère). Le télescope géant européen (E-ELT: European Extremely Large telescope) qui doit être inauguré en 2025, pourra analyser la lumière polarisée réfléchie par une planète et la différencier de la lumière non polarisée de son étoile. On peut d’ailleurs déjà avec le VLT (Very Large Telescope), analyser la lumière de la Terre éclairée par le Soleil et réfléchie sur la Lune qui agit comme un miroir (« lumière cendrée »), et y voir la présence d’eau et de végétation. Mais on est encore très loin de cela pour les exoplanètes !
Dans le cadre du projet PORTAL, que nous avons développé avec plusieurs collègues et qui va se nourrir des données transmises par le JWST, nous sommes partis de l’idée que le rayonnement stellaire représente une source efficace et illimitée d’énergie, abondamment utilisée par la vie et à la base des réseaux trophiques sur Terre. Il est donc possible que la lumière d’autres étoiles puisse être utilisée par d’autres formes de vie ailleurs dans l’Univers. Parmi des milliers d’exoplanètes découvertes à ce jour, quelques douzaines seraient potentiellement habitables, et leurs compositions atmosphériques pourront bientôt être décrites grâce aux nouveaux télescopes, notamment le JWST. L’évaluation approfondie de l’habitabilité des systèmes planétaires autour d’étoiles naines de faible masse est donc essentielle pour la compréhension de l’universalité et des limites de la vie. La luminosité de ces étoiles froides étant beaucoup plus faible que le Soleil, leurs planètes rocheuses doivent orbiter très près d’elles pour être habitables. Puisque le spectre lumineux de ces étoiles émet surtout dans l’infra-rouge, une vie phototrophe à la surface de ces planètes devrait développer des stratégies pour utiliser ces photons tout en se protégeant des très puissants rayonnements dans l’ultraviolet extrême (XUV) et des vents stellaires.
Sur Terre, les organismes phototrophes ont développé des mécanismes pour capturer les photons dans le visible, mais aussi dans l’infra-rouge, et des stratégies pour se protéger des UV. La phototrophie est apparue il y a plus de 3.4 milliards d’années, alors que l’atmosphère anoxique de la Terre était dépourvue d’ozone, exposant la surface terrestre à de puissantes radiations UV. Plus tard, aux alentours de 2.4 milliards d’années, la photosynthèse oxygénique a eu une influence majeure sur la composition chimique de l’atmosphère et des océans, et a contribué à la diversification et à la complexification de la vie (eucaryote). La phototrophie peut donc impacter l’évolution des planètes et de la vie. Le JWST va permettre l’exploration à distance des divers types d’exoplanètes et de la composition de leur atmosphère, offrant ainsi une base de connaissances indispensable qui permettra ensuite de mieux cerner la diversité des mondes inhabitables, possiblement habitables, et d’y rechercher des anomalies peut-être explicables par la biologie.
TOUTES LES INTERVIEWS & VIDÉOS
Pour aller plus loin
- « La quête de la vie » interview, 15e Jour, janvier 2020
- Projet PORTAL
Sur l'astrobiologie
- Astrobiologie en Belgique
- EAI European Astrobiology Institute
- EANA
- ISSOL (International Society for the Study of the Origin of Life)
- Astrobiology at NASA