Entretien avec Olivier Absil, astrophysicien, maître de recherches FNRS, directeur du Planetary and Stellar systems Imaging Laboratory (PSILab) au sein du STAR Institute de l’Université de Liège.
Quels sont les grands mystères de l’univers que les astrophysiciens espèrent lever grâce à JWST ?
Au-delà de l’étude des premières galaxies et des premières étoiles qui sont apparues à l’aube cosmique de notre univers, un des objectifs majeurs du JWST est d’étudier la formation et l’évolution des systèmes planétaires. Depuis une dizaine d’années, les observatoires au sol, tels qu’ALMA (un réseau d’antennes au Chili fonctionnant dans le domaine millimétrique) et les télescopes optiques équipés d’instruments d’imagerie à haut contraste, nous ont montré la présence de structures dans les disques de poussières autour des étoiles en formation, telles que des spirales, des anneaux, des cavités, etc. Mais dans la plupart des cas, la source de ces structures reste inobservable. Avec le télescope JWST, il devrait être possible de confirmer que ces structures sont causées par des jeunes planètes en cours de formation, qui seront enfin détectables grâce à la sensibilité inégalée du JWST aux longueurs d’onde infrarouge où ces planètes sont plus brillantes.
Dans quels projets scientifiques basés sur les données du JWST êtes-vous impliqué ? En quoi consistent-ils ?
Mon laboratoire est impliqué dans deux grands programmes d’observations avec l’instrument MIRI (Mid-Infrared Instrument), un spectro-imageur travaillant dans l’infrarouge moyen. Ces deux programmes font partie d’un plus vaste programme d’exploitation scientifique précoce de l’instrument MIRI, organisé par le consortium de laboratoires européens qui se sont occupés du design et de la construction de l’instrument. Ces deux programmes, dits de « temps garanti » vu qu’ils correspondent à la récompense accordée au consortium pour les efforts fournis, visent respectivement à étudier un certain nombre de disques circumstellaires – un disque de matière tournant autour d’une planète - et de planètes extrasolaires avec MIRI.
Ils représentent chacun une centaine d’heures d’observations avec le JWST, ce qui est à la fois énorme, vu la pression sur l’utilisation du télescope, et très peu, considérant le nombre de cibles potentielles et les différents modes d’observation du JWST. Via ces programmes de temps garanti, nous allons donc devoir nous concentrer sur un petit nombre de cibles emblématiques qui nous permettront de démontrer les capacités du JWST à répondre aux questions qui nous occupent.
Un de vos projets va s’intéresser à l’étude des exoplanètes géantes situées loin de leur étoile, des objets finalement moins connus. Quel est l’intérêt de ces nouvelles cibles ? Que peuvent-elles nous apprendre ?
Ces planètes géantes détectées par les méthodes d’imagerie directe depuis le sol ont le point commun d’être relativement jeunes, avec des âges allant typiquement de quelques dizaines à quelques centaines de millions d’années. Non seulement elles permettent d’étudier la structure des systèmes planétaires à grande échelle - ce qui est généralement impossible avec les autres techniques de détection d’exoplanètes qui se concentrent principalement sur les régions internes des systèmes planétaires - mais en plus, grâce à leur jeune âge, elles ont le potentiel de nous en apprendre davantage sur les phases précoces de l’évolution des planètes. Et, en particulier, de nous aider à mieux comprendre les produits de la formation planétaire en termes de masse, rayon, température, énergie interne, etc., des planètes géantes. Il s’agit d’un domaine encore relativement mal connu, où plusieurs théories font des prédictions assez différentes. Ces planètes jeunes peuvent aussi nous renseigner assez directement sur les conditions qui régnaient autour des étoiles lors de leur formation, ce qui offre une connexion directe avec le programme de temps garanti sur les disques.
A quelles méthodes d’imagerie allez-vous avoir recours, via quel instrument du JWST ?
Choisir, c’est renoncer. L’instrument MIRI a l’avantage de permettre d’utiliser en même temps les deux techniques les plus populaires d’observation en astronomie : l’imagerie et la spectroscopie. Plus précisément, MIRI est un spectro-imageur à intégrale de champ, ce qui signifie qu’il permet d’obtenir une image où chaque pixel est lui-même décomposé en un spectre de lumière infrarouge. Cette technique d’observation très puissante est de plus en plus utilisée dans les observatoires au sol, en particulier pour l’études des exoplanètes par imagerie directe, car elle permet en une seule étape de séparer spatialement la lumière de la planète de celle de l’étoile (indispensable pour extraire la partie de la lumière qui nous intéresse), et d’obtenir le spectre de la planète (indispensable pour caractériser la composition des atmosphères planétaires). Le JWST sera le premier à utiliser cette technique pour des observations astronomiques en infrarouge depuis l’espace. Grâce à sa couverture complète du domaine infrarouge, il donnera accès à des mesures impossibles depuis le sol, en particulier relatives à l’abondance de certaines molécules comme l’ammoniac.
L'ammoniac a une grande importance dans la structure thermique de l'atmosphère des planètes géantes de notre système solaire. En particulier, elle détermine la température effective mesurée pour la planète par un observateur externe. On s'attend à ce que l'ammoniac ait un rôle similaire dans les atmosphères exoplanétaires. La détecter nous permettrait de mieux comprendre la structure thermique des atmosphères des exoplanètes géantes (en particulier les planètes détectées par imagerie directe).
Qu’est-ce qu’un disque circumstellaire ? Qu’est-ce que cet objet apporte comme information au niveau de la formation des planètes et de notre univers ?
Lors de la formation d’une étoile, un disque de gaz et de poussière se forme autour de celle-ci. Ce disque alimente non seulement l’étoile en matériel « combustible » pendant les phases les plus précoces du système, mais est aussi le berceau dans lequel les planètes peuvent se former. Cette formation planétaire se déroule pendant les dix premiers millions d’années, après quoi le disque est presque totalement vidé de son gaz par l’intense radiation de l’étoile nouvellement formée. C’est dans ces disques que nous voyons aujourd’hui, grâce aux observatoires au sol, des traces qui pointent vers une activité de formation planétaire parfois intense (formation de bras spiraux, de cavités, d’anneaux de densité variable, etc.). Mais aujourd’hui, il nous est toujours impossible dans la plupart des cas de connecter les structures observées avec un ou plusieurs objets de masse planétaires, qui échappent toujours à nos instruments au sol. Grâce au JWST, nous pourrons enfin comprendre quel type de planète est à l’origine de quel type de structure, et ainsi affiner nos théories sur la formation planétaire en général.
Vous travaillez déjà avec les données de nombreux télescopes terrestres (VLT notamment). Quelles données va pouvoir détecter le JWST que les observatoires terrestres (et autres télescopes spatiaux) ne peuvent pas détecter ?
Deux ingrédients particuliers du JWST vont être décisifs par rapport aux observatoires au sol dans le cadre de l’étude des systèmes planétaires : sa sensibilité incomparable, et sa couverture complète du domaine infrarouge. Ces caractéristiques vont nous donner accès à l’observation de planètes de plus faible masse et plus froides que celles que l’on peut détecter depuis le sol, ce qui devrait nous permettre de voir des planètes en train de naître, ce qui reste totalement exceptionnel depuis le sol. Et ces planètes pourront être caractérisées avec une précision inégalée à ce jour en termes de propriétés physiques et composition atmosphérique.
Comment seront définies les cibles du JWST ? Est-ce les télescopes au sol qui vont guider les choix de ce qui sera observé par le JWST ?
Le temps d’observation avec le JWST est tellement précieux que nous ne pouvons pas nous permettre de partir à la recherche de nouvelles planètes « en aveugle », sauf dans des cas très particuliers où nous pouvons démontrer que les chances de succès sont très élevées (comme par exemple autour de certaines étoiles en formation entourées de disques très structurés). La plupart des cibles observées par le JWST devront donc d’abord être détectées depuis le sol, que ce soit en termes de détection de disques potentiellement intéressants, ou de détection de planètes pour les systèmes où la formation planétaire est déjà terminée (nous en connaissons déjà quelques dizaines). Dans le cas des disques circumstellaires, l’avantage est que, même si aucune planète n’est détectée, les données collectées par le JWST resteront très utiles pour étudier le disque en lui-même. La détection de planètes dans ces disques peut donc être considérée comme la cerise sur le gâteau !
Le JWST a-t-il la capacité d’imager des planètes potentiellement habitables ?
Cela ne sera malheureusement pas possible. Bien que le JWST ait en principe la sensibilité nécessaire pour détecter une planète de type terrestre autour d’une étoile proche, il lui manquera, malgré son grand miroir, le pouvoir de résolution nécessaire pour accéder de façon directe à la zone habitable, où les planètes ont la température nécessaire pour pouvoir abriter de l’eau sous forme liquide.
Ce type de détection devrait devenir possible d’ici dix ans dans le cas d’une poignée d’étoiles grâce aux futurs télescopes terrestres géants (plus de 30 mètres de diamètre), mais leur capacité de caractérisation de ces planètes sera limitée. Pour étudier de façon détaillée de vraies jumelles de notre Terre, il faudra probablement attendre la décennie suivante (2040) et l’avènement de la nouvelle génération d’observatoires spatiaux (télescopes de grande taille travaillant à très haut contraste dans le domaine visible, ou interféromètres travaillant dans l’infrarouge).